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LA PSYCHOLOGIE DES FOULES
d'après Gustave Le Bon




INTRODUCTION

      C'est l'inquiétude autant que la curiosité qui poussent Gustave Le Bon, à la fin du 19ème siècle, à se lancer dans l'étude psychologique des foules. La foule n'est plus celle des petits vassaux que des rois puissants et intouchables gouvernaient, la politique s'est étendue à la classe moyenne qui entend bien faire connaître son opinion. La foule gouverne ou renverse princes et rois, "c'est dans son âme que se préparent les destinés des nations."
      On ne peut s'empêcher de trouver encore aujourd'hui des échos aux remarques critiques, parfois cyniques, que Le Bon fait sur les foules et la société. C'est sans doute là une preuve de la qualité de son travail, mais au fond les foules d'hier sont-elles vraiment différentes de celles d'aujourd'hui ?
      Ce premier texte (qui sera complété par la suite) a pour but d'introduire la notion de foule selon Le Bon. Il s'articulera autour de trois questions : 1 - Qu'est-ce qu'une foule ? 2 - Quels sont les caractères spéciaux propres aux foules ? 3 - Qu'est-ce qui distingue un individu en foule ?



DEFINIR LA FOULE


      La "foule psychologique" ou "foule organisée" au sens où l'entend Le Bon, dépasse la simple réunion de personnes. Le nombre d'individus concernés est d'ailleurs bien peu important et le terme de foule désignera tout aussi bien une assemblée d'une ou quelques dizaines de personnes qu'un peuple tout entier.
      La proximité géographique est un second point auquel il faut enlever de l'importance. Là encore il ne suffit pas de réunir sans raison des personnes sur une place pour que cette assemblée puisse être qualifiée de foule. Certes ce cas de figure est le plus fréquent, mais il se peut également que certains événements, certaines influences, certains excitants, fassent que des personnes tout à fait isolées les unes des autres se mettent à penser et agir comme une foule (c'est le cas par exemple lors d'un grand événement national, pensez à la coupe du monde de football en 1998, aux américains après les attentats du 11 Septembre 2001 etc.)

      Si ce ne sont pas les individus qui composent la foule (que ce soit leur nombre, leur situation ou leurs origines) qui permettent de définir la foule, à quels caractères faut-il faire appel ?



LES CARACTERES GENERAUX DES FOULES

L'âme collective

      Lorsque des personnes se trouvent réunies dans des circonstances particulières, il peut arriver que leur personnalité consciente s'évanouisse, et que leurs idées et pensées soient toutes orientées dans la même direction. Il peut alors se créé ce que Le Bon appelle une "âme collective". C'est elle qui fait agir, sentir et penser les individus d'une manière très différente de ce qu'ils sentiraient, feraient ou penseraient isolément.
      A l'image des cellules, qui par leur réunion forment un être dont les particularités dépassent la simple somme des particularités individuelles des cellules, cette foule, nouvellement créée, possède des caractères très différents de la somme des caractères individuels des personnes qui la composent. Certaines idées, actes, n'auraient jamais surgis autrement qu'en foule.
      L'âme collective peut ainsi unir de manière éphémère mais forte des individus venus d'horizons variés.


L'intelligence au sein des foules

      Pour Le Bon, ce qui unit les individus d'une même race, ce sont toute une série d'éléments inconscients tels que les influences héréditaires, les croyances, les sentiments, la morale, la religion etc., et les individus diffèrent non pas selon ces éléments inconscients, mais selon leurs connaissances, leur éducation, et tous les éléments conscients de leur personnalité. Par exemple, sur des questions d'ordre religieux, le plus grand génie ne différera pas significativement de son homme de ménage.
      Or, il se trouve que les foules, mettent justement en communs non pas l'intellect des personnes, mais ces niveaux inconscients.
      On comprend dès lors facilement que l'on ne peut attendre des foules un haut niveau de réflexion intellectuelle. Le Bon précise même que "la foule est toujours intellectuellement inférieure à l'homme isolé" et que "les foules accumulent non pas l'intelligence mais la médiocrité". Les foules sont des êtres barbares, dirigés par leurs sentiments et leurs impulsions, elles font régresser à un état primitif les hommes civilisés.



LES CARACTERES PARTICULIERS DES FOULES

Sentiment de puissance invincible

      Nous l'avons tous ressenti un jour, le simple fait d'être en nombre, unis pour aller dans la même direction, nous fait nous sentir plus fort. Le Bon parle lui de sentiment de puissance invincible. C'est ce sentiment qui va permettre aux foules de céder plus facilement à leurs instincts : si le danger n'existe plus, les tendances préexistantes mais régulées en temps normal se trouvent libérées et peuvent s'exprimer dans toute leur intensité. Elles le feront d'autant plus facilement que le nombre apporte aussi l'anonymat, et que l'anonymat conduit à la dissolution du sentiment de responsabilité.


Suggestibilité et contagion mentale

      Pour Le Bon, la situation de foule est comparable à une période d'hypnose. On peut ainsi comparer la foule à un hypnotiseur, et l'individu à un hypnostisé. Une fois la personnalité consciente effacée, la foule contrôle entièrement les personnes, en agissant sur les leviers inconscients de leur personnalité. C'est ainsi que l'individu, une fois placée au sein d'une foule, devient facilement suggestible : "l'influence d'une suggestion le lancera avec une irrésistible impétuosité vers l'accomplissement de certains actes."
      L'un des effets de cette suggestibilité a d'ailleurs pour conséquence de faire disparaître l'intérêt particuliers des personnes au profit de l'intérêt propre de la foule (tendance bien peu naturelle). Le Bon nomme ce phénomène "la contagion mentale" : "chez une foule, toute acte est contagieux, et contagieux à ce point que l'individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l'intérêt collectif".



CONCLUSION

      Le Bon conclue ainsi son premier chapitre : "Donc, évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en acte les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l'individu en foule. Il n'est plus lui-même, mais un automate que sa volonté est devenue impuissante à guider."
      Pour reprendre une analogie employée par Le Bon, l'individu est aussi facilement manipulable qu'un grain de sable parmi d'autres grains de sable. Il peut donc être amené tout aussi bien à se comporter en barbare qu'en héros. Il n'est finalement plus un individu mais un constituant.




D'après l'excellente "Psychologie des foules" de Gustave Le Bon, éditions PUF - Quadrige, février 2002.





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