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LA POLARISATION DE GROUPE




      La prise de décisions en groupe a été étudiée pour la première fois de manière empirique en 1961 par Stoner, dans le cadre de sa thèse de doctorat. Il proposa pour cela à des groupes d'étudiants du MIT (Massachusetts Insitute of Technology) des problèmes inspirés de tâches destinées à mesurer les différences de prise de risque interindividuelles.


Exemple de problème :

      "M. A., ingénieur électricien marié et père d'un enfant, travaille dans une grande société d'électronique depuis sa sortie de l'université, il y a cinq ans. Il est assuré d'un emploi à vie avec un salaire modeste mais décent, ainsi que d'une pension appréciable. Il est très peu probable que son salaire augmente beaucoup avant sa pension. Au cours d'une foire commerciale, M.A. se voit offrir un emploi auprès d'une entreprise récemment créée dont l'avenir est plus qu'incertain. Le nouvel emploi serait beaucoup mieux rémunéré et offrirait la possibilité de devenir actionnaire de la société pour autant que celle-ci survive à la compétition face aux groupes plus importants. Imaginez que vous deviez conseiller M.A. Voici différentes probabilités que la nouvelle société s'avère saine sur le plan financier. Cochez la plus faible probabilité vous paraissant acceptable pour que M.A. accepte le nouvel emploi."

      A la suite du texte se trouvaient plusieurs propositions allant de 1 chance sur 10 à 10 chances sur 10. Le niveau 1 signifiait que l'on conseillait de prendre l'emploi même si le risque était très important. Le niveau 10 signifiait que l'on recommandait la plus grande prudence.

      Chaque sujet devait d'abord proposer un conseil seul, puis en groupe, puis à nouveau seul.

Résultats :

      A la suite de la discussion, les probabilités retenues par les sujets furent inférieure à celles qu'ils avaient retenues avant la discussion de groupe. Autrement dit, après discussion en groupe, les personnes recommandaient une prise de risque plus importante. Un glissement vers le pôle "risque" s'était effectué.


Généralisation du phénomène :

      En 1969, Moscovici et Zavalloni ont mis en évidence que le même phénomène se produisait également dans des questions d'attitudes. Les sujets devaient tout simplement marquer leur accord ou leur désaccord face à une série d'énoncés tels que "de Gaulle est trop âgé pour mener à bien sa difficile tâche politique" ou "L'aide américaine est toujours utilisée pour exercer une pression politique".
      Il s'est avéré que les discussions de groupe exacerbaient les a priori des sujets.

      En 1971, Myers et Bishop ont étudié le phénomène auprès de lycéens. Ils devaient pour commencer répondre à des questionnaires de préjugés raciaux. Sur la base de leurs réponses, des groupes homogènes étaient formés : ceux avec le plus de préjugés d'une part, et ceux avec le moins de préjugés d'autres part.
      Les lycéens devaient ensuite réagir individuellement à huit propositions ayant trait à des questions raciales, puis discuter de ces propositions dans leur groupe respectif, pour enfin réagir à nouveau individuellement aux propositions.
      Les résultats montrèrent que les avis s'étaient radicalisés dans les deux sens, c'est-à-dire que le fossé entre les deux groupes s'était creusé.

Discussion

      Le terme de "polarisation de groupe" rend compte du fait que la plupart du temps, après discussion, les gens s'accordent sur des positions davantage extrêmes que la moyenne des positions avant la discussion.
      Une première explication suggère que ce phénomène est dû à des questions de normes groupales : nous cherchons tous à être bien perçus au sein du groupe, ce qui nous conduit à prendre en compte l'avis des autres membres et à nous y conformer. Une fois la norme du groupe dégagé, chacun va chercher à l'incarner le mieux possible, d'où un glissement vers les extrêmes.
      Une deuxième explication s'appuie davantage sur les problèmes d'influence informationnelle. Lorsque les gens sont réunis en groupe pour discuter, il y a de grandes chances pour que des arguments inconnus pour certains soient évoqués. Il appartient alors à chacun d'incorporer ces arguments à sa propre base de connaissance. Dans la mesure où tous ces arguments vont aller vers le même pôle au sein du groupe, il est normal qu'un glissement s'opère.

     Il serait trop hâtif d'en venir à la conclusion que les décisions de groupe sont moins bonnes que celles prises individuellement. Il n'en reste pas moins qu'il nous appartient de nous méfier de ces dérives, tant sont nombreuses les occasions pour elles d'apparaître ; pensez notamment à la justice, à la politique, à l'éducation...




Pour aller plus loin...

Voir également l'article sur l'influence de la majorité , ainsi que les notions de dépendance informationnelle et normative, et de pensée de groupe.

J.P. LEYENS et V. YZERBYT     Psychologie Sociale     MARDAGA, 1997 - Chapitre 8 "résistance et innovation".



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