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L'OBEISSANCE




INTRODUCTION

      Au milieu du siècle dernier, Stanley MILGRAM , un chercheur de l'Université de Yale (New Haven, Connecticut, Etats-Unis) réalise une expérience. Il montre que 65% des Sujets ayant participés à l'expérience sont capables d'infliger un choc électrique de 450 volts à un innocent, sans danger pour eux, tout simplement parce qu'ils obéissent à un chercheur, n'exerçant ni menace ni pression...



DEROULEMENT DE L'EXPERIENCE :

Mettez-vous en situation...

      Vous lisez une annonce dans un journal local intitulée "Voulez vous gagner 4 dollars en échange d'une heure de votre temps ?". Comme 295 personnes, vous répondez à cette annonce (4$, dans les années 50... c'est toujours ça de pris).
      (Vous venez rejoindre les personnes ayant répondues, elles, à une lettre d'invitation, reçue chez elles. (12% ont répondu). La plupart de ces futurs participants sont des employés des postes, des professeurs de lycée, des vendeurs, des ingénieurs et des travailleurs manuels. Du point de vue intellectuel, l'éventail va de ceux qui n'ont pas continué leurs études, jusqu'aux titulaires de doctorats et autres qualifications professionnelles).


Local et personnel :

      La recherche a lieu dans un luxueux laboratoire de l'université de Yale, ce qui vous impressionne, et vous rassure sur la légitimité des recherches menées ici.

VICTIME
      Ce que vous ne savez pas, c'est quelle va être exactement l'expérience à laquelle vous allez participer (vous pensez venir pour une expérience sur "l'effet de la punition sur l'apprentissage").
      Et, ce que vous savez encore moins, c'est que le rôle de l'expérimentateur est joué par un enseignant en Biologie au lycée, de 31 ans. Celui-ci porte une blouse grise et garde un maintien impassible et une expression plutôt sévère pendant toute la durée de l'expérience (en quelque sorte le stéréotype de l'expérimentateur).
      Le rôle de l'élève (un collaborateur) est tenu, lui, par un comptable de 47 ans, d'origine américano-irlandaise. Il a une attitude plutôt affable et sympathique. Il a d'ailleurs reçu un entraînement spécial.


Méthode :

      Le chercheur, vous, et le collaborateur (le comptable) êtes présents (vous ignorez que l'autre personne présente avec vous et l'expérimentateur est en fait un collaborateur). Après une brève introduction, présentant plusieurs théories élaborées par des psychologues sur l'apprentissage (dont une soutenant qu'une punition à la suite d'une erreur permet un bon apprentissage, par exemple une fessée), le chercheur explique que l'un de vous va avoir le rôle de professeur, et l'autre le rôle d'élève. L'élève sera assis et attaché dans une chaise, et le professeur dans une autre salle communiquera avec l'élève par l'intermédiaire d'un interphone.
      Un tirage au sort truqué a lieu : vous vous retrouvez désigné comme professeur, et le collaborateur comme élève.

MACHINE
      L'élève est relié à des électrodes tandis que vous avez devant vous des manettes graduées de 15 volts à 450 volts.
      Avant que l'expérience commence, on vous inflige un choc témoin de 45 Volts au poignet (vous êtes donc totalement convaincu que les manettes déclenchent bien des décharges électriques).

      Vôtre tâche est de faire apprendre une liste de mot à l'élève, et, chaque fois que ce dernier commettra une erreur, vous devrez lui infliger un choc (et vous devrez augmenter l'intensité du choc à chaque nouvelle erreur).

Les manettes sont annotées ainsi:

  -  75V : choc modéré
  -  135V : choc fort
  -  195V : choc très fort
  -  255V : choc intense
  -  315V : choc extrêmement intense
  -  375V : choc dangereux
  -  >420V : XXX

      L'expérience débute, vous commencez à faire apprendre la liste de mots à votre élève, et au bout d'un certain moment il commet une première erreur. Vous lui infligez donc la première décharge : un choc léger de 15 volts. Au fil de l'expérience, les chocs que vous administrez sont de plus en plus intenses.
      (L'élève-collaborateur ne reçoit bien-entendu aucun choc cependant vous, en tant que sujet "naïf", qui avez le rôle de professeur, vous ne vous doutez de rien, et vous êtes convaincu de la véracité de l'expérience).
      Pour que vous ayez en tête l'intensité des chocs, à chaque fois que vous actionnez une manette, on vous demande d'annoncer à haute voix l'intensité du choc.

      Comme dans une expérience de cette sorte, tout est minutieusement contrôlé et standardisé, les réponses de l'élève étaient les suivantes (résumé de la procédure) :

  -  à partir de 75V il pousse un léger gémissement
  -  à 120 V il dit que les chocs deviennent douloureux
  -  à 135V il hurle
  -  à 150 V il demande à partir
  -  à 180V il crie ne plus pouvoir le supporter
  -  à 300V il refuse de donner de nouvelles réponses et implore de partir (le chercheur dit au sujet qu'une non-réponse est considérée comme une erreur)
  -  à partir de 330V il n'y a plus aucune réaction...

      Bien entendu vous hésitez, et vous vous retournez vers le chercheur à plusieurs reprises, pour lui dire que vous souhaitez arrêter, et pour demander si vous devez vraiment continuer.

L'expérimentateur vous répond alors selon cette procédure (et dans l'ordre) :

  -  Continuez s'il vous plaît.
  -  L'expérience exige que vous continuiez.
  -  Il est absolument indispensable que vous continuiez.
  -  Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer.

Quand une incitation échoue, le chercheur passe alors à la suivante.

      A la question "Est-ce dangereux ?" le chercheur dit "Cela peut être douloureux mais ne peut causer aucune lésion irréversible". A la question "Prenez-vous les responsabilités de votre expérience ?" le chercheur répond "Oui, c'est exact".


RESULTATS

65% des Sujets sont dit obéissants, c'est-à-dire qu'ils infligent un choc de 450V à l'élève.

MACHINE
      Chaque expérience était heureusement suivie d'un entretien avec chaque participant, le chercheur, et l'élève-acteur. Ils permirent tout d'abord de vérifier que les sujets étaient bien convaincus de la véracité de l'expérience. Ils permettaient ensuite de dire au sujet que l'élève était un acteur, et pour leur expliquer le but réel de l'expérience. Ensuite, les sujets rebelles, donc désobéissants, recevait une interprétation de l'expérience qui approuvait leur décision. Les sujets obéissants (ayant donc administré un choc de 450 Volts) étaient rassurés : on leur expliquait que leur comportement était tout à fait normal et que d'autres participants avaient éprouvé un conflit ou une tension identique.


EXPLICATIONS

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce comportement de soumission à l'autorité, entre autre il y a :

  -  La crainte de renvoyer une mauvaise image de soi.
  -  L'engagement et la gradation des manettes : il paraît injustifié de ne pas infliger 115V, alors que nous venons d'en administrer 100 juste avant !
  -  La responsabilité de l'acte est déchargée sur le chercheur.
  -  La crainte de décevoir une autorité.


VARIANTES

      Cette expérience ayant eu suscité beaucoup d'intérêt et ayant été l'objet de nombreuses critiques, elle a été répliquée très souvent selon des procédures qui pouvaient varier sur quelques points. Voici quelques-unes unes de ces variantes (les résultats expriment toujours le pourcentage de personnes ayant administrées jusqu'à 450V) :

  -  L'expérience se fait dans un endroit moins prestigieux (bureau désaffecté) : 47.5%.
  -  Le sujet peut voir sa victime en plus de l'entendre : 40%.
  -  Le sujet doit appuyer sur le bras de la victime pour que ce dernier reçoive les chocs : 30%.
  -  Le chercheur ne donne que les ordres par téléphone : 22.5%.
  -  Le sujet est seulement témoin de cette expérience : 93% n'ont aucune réaction.
  -  Deux chercheurs se contredisent, l'un veut arrêter, l'autre continuer : 0% (ce qui montre bien que ce n'est pas par plaisir que les sujets administrent les chocs).
  -  L'élève-victime a une apparence de hippie : 85%.

      Pour être convaincu que les sujets ne se doutaient pas de la duperie, MANTEL a montré que 49% des sujets pensaient que l'élève-acteur était mort ou inanimé, et tous, malgré leur obéissance, montraient clairement des signes de tensions, et dirent s'être senti très mal pendant l'expérience.



Pour plus d'informations :

Stanley MILGRAM   Soumission à l'autorité   1974, éditions Calmann-Lévy. Pour tous les détails de l'expérience, ou si vous n'êtes pas totalement convaincu, un petit livre facile à lire et accessible à tous.

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